«Faire ville» et «faire écologie», deux mouvements contradictoires, aux trajectoires inversées, abandonnée des politiques pour l’un, récupéré pour l’autre ? Avec les résultats des élections européennes de mai dernier est planté le décor des futures élections municipales. Les alliances opportunes se préfigurent selon une vision sociétale simpliste et bipolarisée, entre progressisme et souverainisme. En parallèle de cette nouvelle scène politique régénéré, décomplexé et néanmoins conservatrice, une nouvelle force solitaire nuance le bipartisme et s’impose. L’écologie politique.
Bien qu’issue d’une prise de conscience collective des enjeux climatiques planétaires, elle ne parvient pas pleinement à considérer l’ensemble des sujets constitutifs du «faire politique» au sens sociétaire. La politique urbaine de développement durable en est le manifeste. Elle dénonce le modèle progressiste uniquement basé sur le néolibéralisme et le consumérisme. Elle s’oppose entièrement au souverainisme en dépassant les problématiques identitaires face à l’urgence climatique qui nous concerne tous. Cependant, derrière l’idée d’universalisme, les politiques urbaines de développement durable posent finalement très peu la question des destinataires et mettent ainsi en marge les processus structurants de la planification tels que la redistribution et l’égalité socio-spatiale. Quel engagement politique peut-il se définir en prônant la volonté d’amélioration de la condition humaine sans progrès social ?
Paris, ville dense et métropole, est aujourd’hui le spectacle de cette dérive. Derrière les actions politiques dites écologiques se cache un enjeu économique malheureusement bien éloigné des modèles sociaux autrefois invoqués et de l’intérêt général. Que dissimule la volonté d’introduire la nature en ville, la biodiversité, la réduction de la pollution, etc ? Pourtant fondamentaux et universels, ces sujets sont malheureusement mis à profit afin de sauvegarder le cadre de vie de populations très localisées, privilégiées et en nombre réduit. Seul un nombre limité d’habitants auraient-ils le pourvoir de jouir des aménités d’une ville-Monde ? A Paris, le phénomène n’est pas nouveau et se répète encore. Chaque opération d’aménagement ou de construction donne naissance à des associations de riverains, souvent propriétaires et bourgeois, munis de l’ensemble des moyens juridiques et politiques mis à leur disposition. Récupérée et instrumentalisée par les militants de l’écologie idéalisée où seul le vide et le «laisser-vivre» font écologie, ces associations attaquent les projets aussi bien privés que publics. Systématiquement lié aux temps politiques et électoraux, les projets publics sont les coulisses des négociations et des constitutions de majorités en vu des élections au détriment du bien collectif qu’est la ville.
La politique écologique en ville va alors à l’encontre de sa propre pensée, de sa lutte contre l’étalement urbain, de sa volonté de transports et d’équipements publics, etc … La densité, rationnelle et nécessaire à endiguer les bassins d’urbanisation ne peut laisser place au vide dans un tissu urbain constitué au profit du confort de cercles restreints et aux appareils politiques d’un temps électoral déjà révolu.
II Les actions écologiques sans lendemain politique ?
La politique s’applique lorsque qu’elle recouvre l’ensemble des sujets d’une société. Elle est globale, commune et publique. Les dernières actions écologiques parisiennes ont démontré le mépris de la dimension sociale et de l’intérêt commun pour l’accessibilité au logement social, tandis que les grands projets privés d’envergure eux les dépassent. Trois projets parisiens concentrent l’hostilité des écologistes.
Les projets de la Tour Triangle et l’aménagement du secteur Bercy-Charenton sont portés par le secteur privé et relèvent de grands enjeux financiers. Ils sont situés le long des grandes infrastructures sur des sites d’activités ou anciennement industriels et voués à se transformer. Décriés pour leurs grandes hauteurs, leur étendue et leur surdensité, ils seront finalement adoptés par le Conseil de Paris malgré les recours des associations de riverains et des écologistes. Le projet de Ménilmontant lui, entièrement public et infime à l’échelle des deux premiers est lui situé sur l’un des derniers grands fonciers parisiens disponibles au cœur d’un secteur résidentiel du 11ème arrondissement. Par son caractère public, il est le plus fragile et concentrera les attaques qui auront raison de lui. La réalisation d’un programme mixte comprenant 85 logements sociaux, un centre sportif municipal, un lieu-relai des encombrants et un jardin est issu d’une politique forte de la mairie de Paris de loger décemment et à prix maîtrisé des familles aux revenus modestes. Le soulèvement d’une trentaine de voisins propriétaires soucieux des nuisances sonores, visuelles et de leur tranquillité bloquera le projet deux années avant de voir les militants écologistes rejoindre et instrumentaliser leur lutte. Alors que le tribunal administratif de Paris reconnait le projet d’intérêt commun, les méthodes se durcissent. Campagne de désinformation, intrusion et occupation du site, dégradation des cadenas, etc … enchaînés aux grilles dès l’aube, les activistes écologistes ont-ils vraiment conscience de porter la voix de propriétaires malheureux alors que les logements sociaux manquent cruellement ? Il est difficile de tirer de ces évènements une réelle politique et une conscience universelle. Quelle société voulons-nous construire en repoussant les populations mal-aimées des villes gentrifiées ?
C’est avant tout la politique de la Mairie de Paris qui est attaquée et mise sous pression alors que la bataille des élections municipales s’amorce. Ses occupants actuels par jeu d’appareils ont cédé à une action écologique localisée sans promesse et sans ambition de mixité sociale. En vue des enjeux majeurs des années à venir, penser la ville sans l’écologie est impensable, au même titre que l’écologie ne devrait se faire sans dimension sociale.
PS : celle-ci ont devrait la garder pour les cahiers du cinéma !
On peut à présent mesurer le préjudice qu’a fait subir à Paris l’infame Amélie Poulain et son théâtre aseptisé de bons sentiments qui a sclérosé dans son jus une indépassable image de Paris en marge de l’histoire sociale… Et que le filtre jaunâtre de sa pellicule tenait moins au sépia d’une époque romantique qu’à la couleur du formol.